La déchirure est partout… Et la réconciliation?
Chaque année, le diocèse de Tournai invite prêtres, diacres, animateurs en pastorale, membres d’EAP et inspecteurs du cours de religion à deux journées de réflexion et de formation. La session 2018, organisée ces 5 et 6 mars, s’est penchée sur le thème de la réconciliation, nécessaire mais souvent si ardue. Se réconcilier avec soi-même, entre individus, entre communautés, entre nations, avec Dieu.
« Le monde dans lequel nous vivons est un monde déchiré », constate en guise d’introduction Jean-Yves Nollet (animateur en pastorale au service de la formation). « La déchirure est partout présente, à tous les niveaux, dans toutes nos relations : tensions au sein des familles, ruptures de liens d’amitié, conflits sociaux, guerres entre pays ou au sein d’une nation. » Mais aussi dans nos relations à Dieu, à nous-mêmes et à la nature.
Et pourtant, au plus profond de chaque femme et de chaque homme de bonne volonté, tout aussi fort, existe le désir de réduire les fractures, de cicatriser les blessures, de rétablir l’unité. Que ce soit entre des pays ennemis hier encore, dans le couple, entre amis, au sein d’une entreprise. Jamais la réconciliation n’est facile, immédiate, évidente, c’est un véritable travail.
« Le terme ‘réconciliation’ a aussi été utilisé par l’apôtre Paul pour dire l’œuvre de salut accomplie par le Christ », nous dit encore Jean-Yves Nollet. « Dans ce monde déchiré, il a eu l’audace, folle, d’annoncer que Dieu nous a réconciliés avec lui. »
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Émilie Aussems, politologue et assistante en sciences politiques et sociales à l’UCL, décortique le processus de réconciliation après un conflit. Il n’y a pas qu’une seule définition de la réconciliation. Certains parlent de justice, de vérité, de confiance, d’autres vont jusqu’au pardon. On peut vouloir se réconcilier par intérêt (même des ennemis ont des intérêts communs, économiques par exemple). On peut aller plus loin et tenter de déconstruire le système de valeurs qui a conduit à l’affrontement. Ou même, comme ce fut le cas en Afrique du Sud, grâce notamment à la force et au charisme d’un Nelson Mandela, œuvrer à une forme de guérison collective.
Mais toujours il faudra du temps. Selon les contextes spécifiques, les acteurs en présence, les soutiens extérieurs, le processus sera plus ou moins long. Il faudra d’abord que le conflit ait atteint une certaine maturité, que son coût soit devenu plus élevé que le coût de la paix. Le temps seul ne suffit pas à guérir toutes les blessures, il faudra se parler, évoquer ce qui s’est passé. « Un conflit allume autant de feux qu’il y a d’individus et il faudra les éteindre un à un », conclut la politologue.
Des chrétiens engagés
Un peu plus tard, le juriste François Delooz, responsable de la communauté de Sant’Egidio à Liège et impliqué dans le dialogue interreligieux, fait lui aussi le constat d’une société de plus en plus déchirée. Alors que les combats de l’Antiquité laissaient des milliers de morts sur un champ de bataille, ce sont les civils qui sont aujourd’hui les plus touchés, dans des affrontements souvent urbains. Et bien que le taux de violence soit moindre que dans les siècles passés, notre sentiment d’angoisse et d’insécurité ne cesse de croître.
« Quelle est notre responsabilité comme chrétiens contre la guerre ? », s’interroge le juriste liégeois. Exemple après exemple, François Delooz explique comment, depuis 50 ans, la communauté de Sant’Egidio négocie, dialogue avec des belligérants, dans la discrétion, sans réel moyen de pression, « acteur faible » dont l’unique intérêt est la paix. Répandue dans 70 pays à travers le monde, la communauté s’appuie sur sa connaissance des contextes locaux et sur un réseau d’artisans de paix, de religions et confessions diverses, pour favoriser des accords.
Mais aussi, dans son souci constant du pauvre, de l’oublié, du fragilisé, est-elle parvenue à susciter la création de couloirs humanitaires permettant à des réfugiés syriens vulnérables d’arriver en toute sécurité en Europe, une initiative qui en Belgique a été portée par tous les cultes reconnus.
Grande Histoire et petites histoires
Si la journée s’est terminée avec le théologien et prêtre Joseph Famerée par un historique des enjeux, des avancées et des résistances en matière d’œcuménisme, elle avait commencé avec une poignée de romans, tous porteurs de déchirures, sélectionnés par Colette Nys-Mazure.
Pour l’un, il s’agissait de retracer l’évolution d’un mouvement initié au début du 20e siècle, né de la volonté de résoudre ce paradoxe entre des chrétiens annonceurs d’une Bonne nouvelle d’unité du genre humain mais pourtant divisés entre eux. « Comment une communauté née de l’amour divin peut-elle être divisée au point de ne pouvoir célébrer ensemble l’eucharistie ? », s’étonne le docteur en théologie…
Pour la philologue, poète, essayiste, romancière ou encore conférencière tournaisienne, la première intervention de la journée fut l’occasion de nous partager son insatiable passion des livres, eux aussi souvent récits de déchirures et parfois de réconciliation. « Le roman est témoin de tous les types de blessures et de réconciliation possibles », affirme Colette Nys-Mazure. « Notre compréhension de celles-ci est liée à notre propre histoire. Mais au fil des époques, les questions restent à peu de choses près les mêmes. »
De livre en livre, ouvrages tour à tour noirs ou lumineux, les brisures se succèdent. Histoires d’amour contrariées, déchirures entre devoir et passion, séparation avec les parents, avec l’environnement dans lequel on a grandi, fracture sociale, exclusion. Avec parfois, timide, inespérée ou acquise à force d’efforts, une certaine forme d’apaisement… de réconciliation.
Consulter ici la liste des livres présentés par Colette Nys-Mazure
Le pardon : un don, une grâce (échos de la seconde journée de formation)
Deux journées en quelques photos
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Créé parDiocese de Tournai
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